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Demandes de la Société des Études Latines aux candidats à l’élection présidentielles

La Société des Études Latines s’inquiète vivement du sort actuel de l’enseignement du latin et, plus généralement, des humanités à tous les niveaux de l’enseignement français.

En effet, alors que la langue latine a produit l’essentiel de la langue française (et des autres langues romanes) et que les humanités constituent la base de notre culture, l’étude du latin et de la littérature gréco-latine a été réduite dans les établissements d’enseignement français à la portion congrue et a été littéralement sacrifiée ces dernières années dans les collèges et dans certaines universités.

La Société des Études Latines interpelle les candidats à l’élection présidentielle de 2017 et leur demande quelles mesures ils comptent mettre en œuvre pour préserver cette composante fondamentale de la culture française. Ses questions portent plus précisément sur les points suivants, relevant des divers niveaux de l’enseignement français.

Dans le Premier cycle de l’Enseignement Secondaire.

La réforme des collèges a eu pour effet de supprimer l’enseignement du latin dans bon nombre d’établissements et de réduire considérablement le nombre d’heures de latin partout ailleurs. La Société des Études Latines demande que, au nom de l’égalité républicaine, tous les élèves qui le souhaitent puissent commencer le latin en 5è et le continuer ensuite ; elle demande d’autre part que le nombre d’heures de latin en 5è , en 4è et en 3è redevienne au moins celui qu’ il était avant la réforme des collèges (2 h en  5è , 3h en 4è et en 3è ) car, en-dessous de ce nombre, il n’est pas possible aux élèves d’apprendre du latin. Cette demande est d’autant plus justifiée que la langue latine, par sa grammaire rigoureuse et son vocabulaire d’où est issu le français, est un outil de premier ordre pour lutter contre les deux grandes faiblesses dont souffrent actuellement, selon toutes les études, les élèves de notre pays, à savoir la difficulté à saisir les mécanismes grammaticaux du français et la fréquente incapacité à s’exprimer avec un vocabulaire précis et nuancé.

La Société des Études Latines demande en outre que, en classe de 3è, le latin et le grec puissent être étudiés conjointement, et non pas être exclusifs l’un de l’autre.

La Société des Études Latines demande enfin que l’histoire de la Rome antique soit enseignée au collège de manière détaillée afin que les élèves soient en mesure de situer clairement, dans leur déroulement historique, ces faits d’une importance majeure pour la constitution de concepts aussi importants pour notre époque que  la citoyenneté ou la construction du droit.

La composante littéraire des lycées, la filière L, est en crise. Cette situation est grave, car comment peut-on espérer un rayonnement de la culture française à long terme si l’on ne produit plus de bons connaisseurs de sa littérature ?

Or cette crise est concomitante de la quasi-disparition du cursus de lettres classiques dans les lycées alors que cette filière a toujours – et encore dans un passé proche – nourri la réflexion culturelle dans notre pays. La Société des Études Latines demande le rétablissement dans les lycées, pour les élèves littéraires,  d’une filière associant une étude exigeante de la littérature française à celle du latin et du grec. Ces deux dernières matières doivent aussi être accessibles aux élèves des sections scientifiques.

Une telle mesure, outre son impact culturel, aura pour effet de recréer le vivier qui fait actuellement défaut pour recruter des enseignants de lettres classiques. Ces enseignants seront nécessaires dans le futur, car ils sauront associer, répondant à un besoin croissant de notre jeunesse, l’étude de la littérature de notre passé à celle de la littérature contemporaine.

Dans l’Enseignement Supérieur

Les filières littéraires de nos universités subissent le contre-coup de la crise des lycées et voient actuellement leurs effectifs sans cesse décliner. Alors qu’il y a encore une vingtaine d’années, les étudiants littéraires étaient trop nombreux dans les universités, nous sommes maintenant confrontés à la situation inverse, à laquelle il faut impérativement remédier.

Les filières de lettres classiques sont frappées de plein fouet par cette crise et de trop nombreuses universités ont fermé leur cursus classique, contraintes qu’elles étaient, par manque de moyens, de supprimer les cursus dont les effectifs étaient les moins nombreux.

Ces choix relèvent certes de l’autonomie des universités, mais il est probable que, si un effort national est fait en faveur des études littéraires, les universités rétabliront tout naturellement les cursus de lettres classiques.

La Société des Études Latines demande donc qu’un tel effort soit entrepris et que le futur Ministère des Universités incite les établissements universitaires à maintenir partout où cela est possible un enseignement de lettres classiques collaborant étroitement avec les lettres modernes, la philosophie, l’histoire etc…., mais conservant une existence spécifique. Le maintien de ces cursus permettra notamment d’une part de continuer à former des enseignants dans cette discipline, d’autre part, sur le plan de la recherche, de toujours offrir la  possibilité de faire intervenir l’apport antique dans les différentes études interdisciplinaires.

Dans les concours

La Société des Études Latines demande que soit rétabli un CAPES autonome de lettres classiques et que soit maintenue l’agrégation de lettres classiques.

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L’élève qui aura pu étudier le latin au collège et au lycée disposera d’ un atout important pour emprunter ensuite un parcours de réussite : il abordera dans les meilleures conditions des études universitaires tant de lettres que de philosophie, d’histoire, de droit, de pharmacie ou de médecine. Mais l’enjeu du latin dépasse largement les limites de la France, car il constitue un socle commun à toute l’Europe. Il existe en effet une unité linguistique directement issue du latin entre les espaces francophone, italianophone, hispanophone et lusophone, et une unité culturelle forte, centrée sur le latin, entre l’ensemble des pays européens. Or si les études latines sont aussi en recul dans ces pays, elles y gardent, surtout en Allemagne, une place beaucoup plus importante que ce n’est devenu actuellement le cas en France. Ce qui est donc en définitive en jeu, c’est la capacité de la France à demeurer dans la cohérence culturelle européenne, condition nécessaire pour que les Européens puissent se comprendre en profondeur.

 

 

 

L’avenir de l’Antiquité et notre cohésion politique

L’Antiquité a-t-elle un avenir ?
Pour nous, c’est sûr ! Elle nous fait comprendre d’où vient le monde, mais aussi où il est et surtout où il va. Elle lui fournit un socle qui repose sur la raison et l’humanisme.
Est-ce si sûr pour les candidats à l’élection présidentielle ? Nous le leur demandons ! Car faire résonner l’Antiquité dans la conscience des électeurs-citoyens, c’est parier sur l’avenir de la France, d’une nation ancrée dans un passé aux racines multiples, portant un regard avisé sur elle-même et sur l’Europe, et prête à s’engager vers un futur qui réactive bien commun et cohésion nationale.

Madame, Monsieur le candidat à l’élection présidentielle,

La compétition électorale virulente à laquelle vous prenez part exacerbe les antagonismes qui traversent notre société. Si vous êtes élu, vous aurez la responsabilité impérieuse de diriger non plus seulement votre propre camp, mais la nation tout entière. Quels principes entendez-vous mettre en œuvre pour emporter l’adhésion du peuple français dans son ensemble, et en particulier de nos concitoyens qui n’auront pas voté pour vous ?

En France, une seule valeur est unanimement partagée depuis le XIVe siècle : le « commun profit », décliné aujourd’hui dans l’expression « le vivre ensemble ». Mais vous le savez, pour que l’intérêt général soit véritablement vécu comme tel, il doit recouvrir réellement ce qui est commun à tous : la conscience d’appartenir au même peuple et de marcher vers le même port, quels que soient les remous des temps. Or, cette conscience trouve sa source dans la Mémoire, Mnèmè, fille de l’histoire et plus particulièrement de l’histoire de l’Antiquité. Nous sommes tous les enfants tant des Grecs que des Mésopotamiens, des Égyptiens que des Romains, des Celtes que des Hébreux et de bien d’autres peuples de l’Antiquité. Cette histoire si ancienne constitue notre héritage commun, à nous qui vivons sur le sol français.

Telles étaient les convictions des hommes des Lumières : c’est à leur certitude absolue d’être les enfants de Jérusalem, d’Athènes et de Rome que l’on doit les mesures les plus emblématiques de la Révolution. Telle est aujourd’hui la conviction de beaucoup d’hommes et de femmes de bonne volonté : sans idéalisation ni nostalgie, ils savent que l’Antiquité est un commencement, dont il nous incombe de toujours réactiver la valeur.

Cette filiation n’est pas une vue de l’esprit, mais une mémoire vive : l’Antiquité constitue la fondation de notre édifice politique. En Grèce, les citoyens se définissent par la cité, polis ; à Rome, grâce à la République, res publica, « la chose publique ». L’élection qui vous aura porté au pouvoir est une institution de droit romain, empruntée à la conscience démocratique grecque, relayée par le droit canon et le droit de la Révolution. C’est elle qui cimente depuis l’Antiquité la res publica dont le souverain, nous, le Peuple, vous aura désigné comme mandataire.

La res publica repose sur la notion d’équilibre, inventée par Solon au VIe siècle avant notre ère et vouée à conjurer le spectre de la tyrannie, que celle-ci soit le fait d’un individu ou d’un groupe. L’équilibre est à la source même de la démocratie, elle-même fille de la raison – qui n’a pas attendu le XVIIIe siècle pour gouverner les hommes. La raison antique est le « bon sens » de Descartes ou de Jules Ferry : elle est commune à tous les hommes et doit, aujourd’hui plus que jamais, nous garder de toute dérive irrationnelle et de toute démesure, de toute hybris.

L’humanisme, c’est-à-dire l’attention portée à l’homme, constitue également un legs que nous devons à l’Antiquité : beaucoup, à partir de la Renaissance, ont su s’en souvenir. Ce legs n’est pas un modèle – à bien des égards l’Antiquité était une période d’une grande violence politique et sociale –, mais il est un ferment, un chemin qui peut être sans cesse emprunté, à toutes les époques.

Née dans l’Antiquité, la confiance en l’homme et en la raison, une raison critique toujours en débat avec elle-même, a nourri notre sentiment national comme notre conscience européenne. Elle a également irrigué l’esprit de tous les peuples qui en ont hérité : les chrétiens du nord de la Méditerranée, comme les musulmans du sud. Au IXe siècle s’ouvrait à Bagdad, alors nommée medinat es-salam, « la ville de la paix », une Maison de la sagesse, où se côtoyaient une multiplicité de religions et de langues. Les textes de l’Antiquité grecque y furent traduits en arabe et donnèrent leur souffle aux plus grands écrits philosophiques et scientifiques, en particulier ceux d’Avicenne et d’Averroès, dont Thomas d’Aquin est le débiteur, et nous-mêmes, après lui, les héritiers.

Que l’étude de l’Antiquité apprenne à conjuguer savoir et engagement, humanisme et connaissance scientifique, culture et éducation, pour forger la République des Lettres : telle est notre ambition. Qu’elle incite à porter un regard avisé sur la France, sur l’Europe et sur l’autre rive de la Méditerranée : telle est notre perspective.

Jusqu’à quand devrons-nous accepter la mise en œuvre de politiques éducatives et culturelles qui, oublieuses de nos traditions intellectuelles les plus structurantes, sapent les fondements mêmes de la République ? Jusqu’à quand devrons-nous accepter que l’Éducation nationale abandonne le projet, longtemps prioritaire et l’un des éléments de cohésion de notre pays, de former des citoyens responsables et conscients de leurs racines ? Jusqu’à quand devrons-nous accepter qu’elle cesse de les rendre aptes à comprendre les enjeux actuels et futurs de notre société et capables de lui apporter une contribution libre et constructive ?

Nous qui, au sein d’Antiquité-Avenir, œuvrons pour que l’emportent l’humanisme, la raison et l’équilibre, nous vous le demandons : pour fonder notre cohésion politique, quelle importance entendez-vous accorder aux principes issus de la raison antique ? Quel soutien chercherez-vous dans les repères communs qui nous viennent de l’Antiquité ?

En un mot, quelle résonance donnerez-vous dans votre politique à l’Antiquité, notre mère à tous ?

Au nom du directoire, Jacques Bouineau

Président d’Antiquité-Avenir, réseau des associations liées à l’Antiquité

Cette tribune a été publiée sur le site de l’hebdomadaire Le Point le 30 mars 2017 :
http://www.lepoint.fr/editos-du-point/sophie-coignard/coignard-presidentielle-le-grec-et-le-latin-s-invitent-dans-la-campagne-30-03-2017-2115824_2134.php

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