Imaginons, le temps de ces quelques lignes, qu’un candidat à l’élection présidentielle ait cure de l’instruction des Français, que, partant, il nous ait écoutés et entendus, et qu’il nomme un ministre de l’éducation nationale compétent et volontaire. Celui-ci veillerait en premier lieu à ce que l’enseignement soit possible. Il affermirait l’autorité de l’Institution et de ses professeurs, parce que le respect du savoir est la condition nécessaire de la démocratie et qu’il faut imposer son prestige aux blandices de l’air du temps, du mercantilisme ou du fanatisme. Il exigerait par conséquent qu’une stricte discipline règne dans les établissements, parce qu’il aurait compris que, loin de brimer les élèves, elle est indispensable à leur sérénité, donc à leur émancipation. Et, comme pour apprendre il faut aussi du temps, il rendrait aux disciplines les heures dispersées et gaspillées en des dispositifs prématurément « interdisciplinaires » assurément vains ou vaniteux ; il rendrait notamment au français toutes les heures perdues depuis quarante ans et réparerait la mutilation barbare dont les langues anciennes viennent d’être victimes. Il ne prendrait d’ailleurs pas sur les heures de cours les moyens d’aider les élèves en difficulté et ne chargerait pas l’école de résoudre les difficultés qui ne sont pas d’ordre pédagogique. Il ouvrirait les classes de mise à niveau pour les non francophones, d’autres pour ceux que leur parcours avait déscolarisés et retardés ; il commettrait à l’étude du soir des étudiants compétents et des professeurs honoraires au tutorat d’élèves désorientés. Il veillerait à ce que le ramassage scolaire ne soit pas un temps d’abrutissement sonore et à ce que les sorties, voyages, activités parascolaires soient des moments de dépaysement dans l’élévation. Enfin, il ne ferait pas d’un prétendu socle commun une geôle collective au plafond trop bas, mais il assurerait à tous des bases solides, les fondations sur lesquelles chacun pourrait se construire, dans des établissements où l’on irait sans hiérarchisation inepte, parce le calme y permettrait l’excellence, qu’elle soit classique, technologique ou professionnelle. Ce cadre mis en place, il prendrait soin de le nourrir de programmes consistants et pertinents, qui n’imposeraient pas une pédagogie sectaire, qui ordonneraient l’apprentissage progressif et méthodique des connaissances, de manière qu’elles se cumulent et s’articulent. Il demanderait ainsi que la grammaire bénéficie d’un temps spécifique et systématique, que l’orthographe ne soit pas négligée, que le vocabulaire soit méthodiquement et continûment enrichi, que la littérature soit précocément et intelligemment fréquentée, les auteurs connus et le contexte éclairé, la forme dégustée en étant toujours rapportée au sens – il ne voudrait pas qu’on obtînt son brevet sans conjuguer le subjonctif, ni son bac sans savoir expliquer Racine. Il saurait forcément que le latin n’est pas seulement à l’origine du français, mais qu’il en est pour ainsi dire la matrice continuée ; aussi tiendrait-il à ce que tous les élèves y aient été initiés en Sixième, que nombreux soient ceux qui en poursuivraient l’étude et aborderaient celle du grec ancien, de sorte que l’on pourrait recréer au lycée une vraie série littéraire, où l’on étudierait forcément les textes antiques. Car il aurait à l’esprit que la connaissance intime, étayée autant que possible sur celle des Anciens, de la langue et le la littérature françaises peut seule éviter les replis communautaires et l’uniformisation mercantile, la fortune des démagogues et la violence des guerrres civiles. Il aurait compris que la République n’est pas sans son école – ni la France sans sa langue…
Romain Vignest
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